Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un chef-d’œuvre ! Bon, peut-être est-ce un peu exagéré que d’associer le mot « chef d’œuvre » à celui de « reggaeton », mais puisqu’il n’y a pas de sous-genre ou de sous-art, on dira que cette association convient. Mais pourquoi un mot si fort ?

 

 

1. Le titre, le concept

 

            « Colores ». Couleurs. Titre simple et efficace : on s’attend  donc à voyager à travers différents tons chromatiques. Le début de chaque clip jusqu’à présent dévoilé commence par un livre de coloriages qui s’ouvre à la page de la couleur qui sera mise en chanson. Avec une petite fleur qui sourit au milieu. 

            On est dans l’enfance : comme je le disais, c’est simple à saisir, on a tous connu ça. C’est très basique et ça attire l’œil. Album de coloriages et album de musiques. Il fallait y penser. Chaque couleur sera associée à un thème précis, à une mélodie donnée et nous entraînera dans un monde créé de toute pièce pour un voyage intense. Attention, J. Balvin avec cet album coup de maître ne nous propose aucun thème nouveau, non. Au contraire, il nous sert sur un plateau tous les thèmes phares du reggaeton que l’on connaît depuis plus de 15 ans déjà. Il s’agit d’un véritable pot-pourri des grands sujets (fort triviaux, cela ne surprendra pas) de ce style musical. Alcool, sexe, drogues, femmes, fête, amour, désir, séduction. Ça ne va guère plus loin. Un chef d’œuvre alors ? Est-ce que je ne pousse pas le bouchon un peu loin là ? Eh bien je vous dis que non. Pour moi, cet album tout comme l’artiste qui le porte se hisse sur le trône du genre musical qui avait besoin de sa cerise sur le gâteau (voir le clip de Morado : l’artiste et son équipe en ont bien conscience, José y est représenté comme le roi).

2. Un album multicolore

 

            Avec cet opus : objectif plein les yeux (et les oreilles). Le chanteur se fait plaisir et le partage généreusement avec ses fans, en jouant sur des styles vestimentaires -colorés, bien sûr- des plus exubérants. Cela également reflète selon moi pour beaucoup le continent sud-américain.

 

Le kitsch et les couleurs vives de l’Amérique latine

            Il y a, dans la couverture de l’album, la simplicité des thèmes abordés et dans ces clips qui forment un univers qui se suffit à lui-même, une sorte de kitsch monumental assumé. Ce kitsch fait d’ailleurs partie, de mon point de vue de Française qui préfère bien souvent la sobriété, du mon latino-américain. Les paysages urbains, les modes ici ne sont pas réellement élégants (tout dépend de la définition de l’élégance et de l’endroit où l’on se trouve, évidemment) : on s’habille souvent un peu plus sexy quand on est une femme (exemple du Brésil : il fait quand même un brin plus chaud ici qu’en Europe, donc on comprend la démarche du vêtement un peu plus court et ouvert ; et l’ouverture se fait souvent au niveau du décolleté) mais pas forcément élégamment. Le comble de l’élégance se trouvant dans ces cérémonies piliers du parcours de vie (les 15 ans, la remise de diplôme universitaire, le mariage...) où les femmes – toujours – se vêtissent de leurs plus belles robes. Ces robes longues, colorées, décolletées, souvent scintillantes de mille feux. A l’américaine quoi. Ce n’est pas forcément laid, c’est une autre beauté vestimentaire (à laquelle je m’identifie très peu d’ailleurs). C’est somme toute, une autre culture. Et J. Balvin nous la fait exploser à la figure comme un feu d’artifice. On est kitsch, et on le revendique. C’est ça, notre identité. J’imagine bien que le mot kitsch, péjoratif, ne serait jamais choisi par l’artiste, mais je suis sûre qu’il serait d’accord avec l’idée de provocation (ce côté tape-à-l’œil) que contient le mot. 

            Je ne peux m’empêcher de faire un petit excursus vers la symbolique des couleurs qui se lie bien souvent aux croyances ici. Ainsi, c’est en Amérique latine que j’ai appris à brûler des bougies de couleurs différentes selon mes souhaits (le jaune pour l’argent, le rouge pour la passion, le blanc pour la paix...). C’est au Brésil qu’au nouvel an nous nous vêtissons tous de blanc et qu’on m’a dit que la couleur de nos sous-vêtements marquerait particulièrement l’année à venir (mêmes associations peu ou prou, que pour les bougies).

            Je terminerais ce paragraphe enfin en parlant des sonorités empruntées. De ces petites reprises, de ces hommages musicaux que l’on retrouve dans au moins 2 de ses titres : Amarillo (qui ouvre le bal), qui résonne sur le rythme si génial et si entraînant (et presque latino) d’Angela du groupe français Saïan Supa Crew (groupe de hip-hop de la banlieue parisienne, culture populaire, cela va sans dire) ; et Arcoíris, avec le magnifique Chan Chan  de Compay Segundo qui finit en beauté le morceau.

            Des couleurs partout je vous dis : même des couleurs musicales d’autres pays ou d’autres temps !

 

 

Bienvenus dans le monde des hallucinations

            Si l’hommage à la culture populaire latino-américaine actuelle au sens large est indéniable, je ne peux pas passer à côté d’un sujet essentiel qui parcourt tout l’album comme le sang dans nos veines. La drogue ! Les drogues. Couleurs oui, mais surtout hallucinatoires : impossible de ne pas penser à l’éléphant rose, symbole des grands délires d’alcooliques et/ou de drogués. Pas de couleurs pastel ici, pas de demi-ton, pas de couleur douce, que des couleurs qui flashent. Comme ces éclairs qui font office d’yeux à cette jolie fleur au sourire béat qui nous sourit à chaque page du livre de coloriages, et dessinée de multiples fois en couverture d’album. Là, on arrive à la double lecture. On est dans un monde enfantin au premier abord, mais quand on se penche un peu plus près, on est définitivement dans un monde adulte, avec les interdits qui vont avec. Un peu comme les dessins animés de Disney en fait. 

            Et le thème de l’hallucination, du fantasme, du rêve puissant, de l’au-delà même, est très présent dans les clips du jeune chanteur. Dans Rojo (qui est le rouge de la passion et du sang – je vous disais que la symbolique était simple à saisir -), c’est l’histoire d’un homme qui vient d’être papa, qui accourt à la maternité mais qui ne verra jamais sa fille car il aura un accident de voiture mortel en chemin. On voit alors son fantôme partager la vie de sa femme et de son enfant, la fantasmer (un fantôme à fantasmes), et à la fois assister plus ou moins impuissant aux nouvelles amours de sa bien-aimée. Dans Gris, un jeune homme (toujours représenté par J. Balvin) est totalement obsédé par l’image de sa chérie/de son amante qui peuple tous les recoins de sa chambre, comme un esprit puissant peuplerait nos rêves et nos cauchemars. Une vraie fleur du mal. 

Pour les autres, on est toujours embarqués dans un monde différent et un monde parallèle. Que dire de Blanco, premier titre et clip sorti de cet album (auquel je n’ai d’ailleurs pas accroché dès le départ) ? On est chez les zinzins. Tout est tout blanc, l’artiste et les figurants dans les combinaisons blanches, il y a un chat blanc... Je ne suis pas sûre de comprendre les paroles... Dur de ne pas imaginer que celui qui a pensé à cette vidéo n’avait pas reniflé un peu de poudre (blanche) avant d’accoucher du concept. Pour Verde, même si cela n’est, il me semble, jamais évoqué, je ne peux pas m’empêcher de penser au cannabis. Dans le clip de cette chanson, il n’y a pas une trace de cette drogue, mais on est immergés dans un monde bien perché quand même. Le protagoniste devient tout petit – un sort du Leprechaun ?- et nous le suivons dans ses péripéties au milieu de sa pelouse. Morado enfin : l’artiste est roi, entouré de ses sujets (ou devrais-je dire ses sujettes en petite tenue), arbore un style loufoque et grandiloquent. J’ai fait une petite recherche lexicale sur le dictionnaire de référence en espagnol (celui de la Real Academia Española) et j’ai trouvé que « morado » en Argentine pouvait signifier « content », et que l’expression « ponerse morado » signifie manger à n’en plus pouvoir. Et en effet, on est plutôt dans la folie des grandeurs cette fois-ci, dans l’excès : un vrai fantasme de puissance.

            Les drogues, causes d’hallucinations, ce sont donc les drogues au sens propre (n’oublions pas que Monsieur est colombien – pardon, pardon, car je ne veux pas réduire ce pays au narcotrafic, mais on ne peut pas faire comme si cela n’existait pas), mais aussi au sens figuré : les femmes, le désir, la puissance de l’imagination. Chaque page de l’album a sa couleur, et chacune dépeint son monde à elle. On pourrait aller jusqu’à croire que chaque couleur représente une femme différente. Comme celle qu’on nous dépeint dans Negro, vilaine, méchante, avec le rythme lent d’une panthère dans l’obscurité qui s’approcherait doucement de sa proie. Entourée de corbeaux (qu’on entend réellement croasser tout le long de la chanson), comme le serait une bonne vieille sorcière.

            Hallucinations et couleurs, cocktail parfait en somme pour laisser libre cours à l’imagination. Quoi de mieux pour entrer dans un autre monde, dans une œuvre artistique dont chaque facette constitue un tout ?

3. Conclusion : l’essence et l’apogée

 

            Je maintiens, c’est un chef d’œuvre au sens littéral : cet album se situe au-dessus d’anciens albums (de l’artiste comme d’autres interprètes de reggaeton). On se situe également il me semble à l’apogée de la carrière de J. Balvin, qui se hisse réellement au sommet de l’art reggaetonero qui se diffuse de plus en plus amplement sur les ondes de France (et d’ailleurs).

            Ce qui est génial, c’est d’avoir réussi à imposer des couleurs aux (chan)sons et vice-versa. Notre imaginaire se laisse embarquer sans rechigner. C’est génial de simplicité.

            L’album est un chef d’œuvre car il tient tout seul : de par sa complétude, de par toutes ses résonnances et ses échos, il se suffit à lui-même. Quand on finit d’écouter toutes les chansons, on a fini de colorier notre (son) album. Et on l’a fait avec plaisir.

            Après, bien sûr, on n’aime ou on n’aime pas, ce n’est plus qu’une affaire de goût (l’un des cinq sens d’ailleurs peu sollicité par cet album qui se moque bien de si on le trouvera savoureux ou dégoûtant). 

Colores, J. Balvin 2020, ou l’essence du reggaeton actuel

>>> l'Album sur Youtube

Tag(s) : #Arts et culture
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :