Vous ne verrez pas

Vous ne verrez pas les premières lueurs du soleil, comme les voient les travailleurs de l'aube.

Vous ne verrez pas les banquets luxuriants auxquels s'habituent les hauts placés. 

Vous ne verrez pas les faiblesses et les rides des anciens qu'un infirmier soigne chaque jour.

Vous ne verrez pas les bancs de la Sorbonne, sur lesquels s'assoit des années durant l'étudiante sérieuse et motivée.

Vous ne verrez pas ce qu'il y a dans la caisse du supermarché comme le voient les caissières patientes et mécaniques.

Vous ne verrez pas une salle de classe depuis son estrade, sur laquelle est juché un professeur consciencieux. 

Vous ne verrez pas le bitume d'aussi près qu'un vagabond qui le goûte chaque nuit qu'il s'enrobe d'une couverture à trous.

Vous ne verrez pas les routes d'aussi haut qu'un chauffeur routier.

Vous ne verrez pas votre lait sortir des pies de la vache de cet agriculteur tenace.

Vous ne verrez pas la ville du haut de vos talons. 

Vous ne verrez pas le public du haut de la scène.

Vous ne verrez pas la piste d'atterrissage depuis votre cockpit. 

Vous ne verrez pas le monde depuis la Maison Blanche.

Vous ne verrez pas la planète depuis une base spatiale.

Vous ne verrez pas naître votre enfant.

Vous ne verrez pas mourir votre enfant.

Vous ne le verrez pas toujours pleurer.

Vous ne verrez pas tout cela.

Vous ne verrez jamais comme les autres. 

Vous ne verrez pas tout.

Mais vous verrez. Vous verrez au moins. Vous verrez peu. Mais vous verrez un peu. 

Avant de ne plus voir.